Le futur de la neurochirugie du rachis

 

Quel est l’avenir de la neurochirurgie du rachis en Suisse?

Dans la plupart des services ou des cliniques de neurochirurgie suisses, la neurochirurgie s’applique avant tout à la chirurgie vertébrale. La part d’interventions de chirurgie du rachis dans les établissements de formation post-graduée de neurochirurgie atteint jusqu’à 100%. Dans les grands centres, la part des interventions de chirurgie du rachis représente environ 30 à 70% de toutes les opérations. La clinique universitaire de neurochirurgie de Zurich qui se consacre exclusivement à la neurochirurgie crânienne constitue ici une rare exception. La plupart des interventions réalisées sur la colonne vertébrale dans les services de neurochirurgie ont pour objectif de délester les structures neurales. Elles sont aujourd’hui réalisées par microchirurgie. Les hernies discales lombaires et cervicales présentant une compression neurologique, les sténoses dégénératives avec syndrome de la queue de cheval ou compression médullaire en sont autant d’exemples. Beaucoup plus rares sont les pathologies intradurales. Pour apprendre à pratiquer toutes ces interventions, une formation
post-graduée de microchirurgie neurologique de plusieurs années est indispensable. Ceci est à l’heure actuelle un domaine spécifique de neurochirurgie.
Les mesures de stabilisation de la colonne vertébrale connaissent une importance accrue. La prépondérance de la chirurgie du rachis en neurochirurgie se reflète dans le programme de formation post-graduée de neurochirurgie proposé par la FMH qui exige des interventions sur la colonne vertébrale dans plus de la moitié des opérations répertoriées dans le catalogue des OP (135 interventions sur 266 au total). Le règlement relatif à la formation post-graduée en orthopédie n’est quant à lui pas particulièrement axé sur la chirurgie du rachis. Tout neurochirurgien FMH est par conséquent en premier lieu un chirurgien qui pratique des opérations du rachis. Ceci est encore plus frappant dans la pratique où la part des interventions de chirurgie du rachis pratiquée par les neurochirurgiens dépasse 90% de l’activité chirurgicale.

En dehors des frontières suisses, les chiffres sont plus hétérogènes. Dans certains pays, la chirurgie du rachis (sauf tumeurs de la moelle épinière etc.) est majoritairement réalisée par des médecins orthopédistes et dans d’autres, elle est exclusivement pratiquée par des neurochirurgiens.
Jusque dans les années 90, les grands centres de formation post-graduée de neurochirurgie de Suisse n’accordaient pas à la chirurgie de la colonne vertébrale la place qui lui revenait. Les neurochirurgiens très engagés dans la chirurgie du rachis, comme le professeur Benini ou Markwalder faisaient figure d’exception. Les chirurgiens en orthopédie de la colonne vertébrale en Suisse avaient ici quasiment un domaine réservé. Dick, Morscher, Magerl et d’autres sont parmi les plus renommés.
Aujourd’hui, une chirurgie de la colonne vertébrale de qualité n’est plus pensable sans la contribution d’un chirurgien orthopédiste. Les orthopédistes engagés ont mis en place en Suisse des services de chirurgie du rachis de grande qualité capables de concurrencer ceux de neurochirurgie. La part de maladies dégénératives est traitée par ces deux spécialisations. Il reste néanmoins des domaines propres à l’orthopédie et d’autres propres à la neurochirurgie, comme par exemple la chirurgie en cas de scoliose ou la chirurgie des pathologies intradurales.

Les directeurs des administrations des grands hôpitaux de formation post-graduée se demandent, et ils n’ont pas tout à fait tort, quelle est la nécessité d’avoir deux services consacrés à la chirurgie de la colonne vertébrale. Ne serait-il pas plus judicieux de les externaliser et fusionner?
La mise en oeuvre à l’échelle de la Suisse de ce genre de projets entraînerait un profond changement dans le paysage de neurochirurgie suisse. Les unités de neurochirurgie ne disposant pas de service de chirurgie du rachis ne seraient plus présentes que dans 6 ou 7 établissements hospitaliers de Suisse, car sans chirurgie du rachis, le volume de travail serait insuffisant pour faire fonctionner, de manière rentable, le service 24h/24, 365 jours par an, autant sur le plan du personnel que de l’équipement. Il faudrait par conséquent redéfinir la mission d’urgence des hôpitaux disposant d’un petit service de neurochirurgie avec la disparition de ces services.

Il ne faut pas oublier que sans neurochirurgie, la prise en charge complète des patients souffrant de traumatismes crâniens ou le fonctionnement des unités spécialisées dans le traitement des attaques cérébrales ("stroke units") n’est pas possible!

Mais là n’est pas la question: il s’agit ici du transfert de l’ensemble de la chirurgie du rachis vers des unités autonomes, séparées sur le plan clinique et opérationnel, du personnel et des locaux et dirigées par des responsables n’ayant qu’un très lointain rapport avec la neurochirurgie ou l’orthopédie.
La réalisation de ce type de projets mettrait en danger la mission de formation post-graduée des cliniques de neurochirurgie et d’orthopédie. Les cliniques A de neurochirurgie et d’orthopédie pourraient perdre leur statut A, ce qui menacerait également la chirurgie du rachis du service d’être reléguée en seconde classe. Il ne faut donc pas uniquement tenir compte des programmes de formation post-graduée obligatoires de la FMH, il faut aussi garder présent à l’esprit que pour offrir une chirurgie de la colonne vertébrale complète et professionnelle, cela nécessite impérativement des capacités en matière de neurochirurgie, de microchirurgie et d’orthopédie.
Une solution pour regrouper les synergies sans affaiblir les points forts spécifiques propres à chacune des disciplines serait de créer des services interdisciplinaires dirigés à part égale par l’orthopédie et la neurochirurgie.
L’objectif serait de combler les lacunes actuelles en matière de compétence, de soins et de formation post-graduée et de créer des structures claires pour le corps médical et les patients.


Les neurochirurgiens et les orthopédistes suisses exerçant la chirurgie du rachis s’accordent pour dire que la chirurgie du rachis de haut niveau requiert des qualités spécifiques dans les deux domaines. Malheureusement, les neurochirurgiens et les orthopédistes ne travaillent pas encore suffisamment ensemble.
Heureusement toutefois, dans certains établissements, des efforts sont fait dans ce sens. Aussi bien la société suisse de chirurgie du rachis, que la société suisse de neurologie a constitué des groupes de travail chargés de travailler sur la création d’une carte d’aptitude ou d’une spécialisation en chirurgie du rachis. Par ailleurs, les comités directeurs de la SSN et la SSO se réuniront cet automne afin de discuter de cette question. Il convient de garantir une chirurgie du rachis de qualité en Suisse. Cela exigera une collaboration bien plus étroite entre les neurochirurgiens et les orthopédistes que jusqu’alors, ce qui est de toute façon souhaité de part et d’autre. Il serait sage d’engager des réflexions tenant compte de l’évolution des filières de formation en chirurgie du rachis en Europe (et dans le monde).
L’auteur soutient expressément cette démarche avec l’argument selon lequel, une chirurgie de la colonne vertébrale de qualité avec la garantie d’une solide formation sera déterminante pour l’avenir de la chirurgie de la colonne vertébrale.
L’organisation future des unités dédiées à la colonne vertébrale dans les hôpitaux doit être  axée sur la qualité et ne doit en aucune manière dépendre de certains dirigeants locaux ou de facteurs purement économiques et de techniques de marketing.

Les neurochirurgiens suisses et les chirurgiens orthopédistes spécialistes de la colonne vertébrale devront collaborer plus étroitement dans les années à venir dans l’intérêt d’une chirurgie du rachis de qualité supérieure et pour des raisons de ressources. Ne voir ici que la menace qui pèse sur la souveraineté de sa propre spécialisation est une vision étriquée qui masque les perspectives de synergies constructives qui naîtront de ces deux domaines.

 

Dr. Raoul Heilbronner
Past-president Société Suisse de Neurochirurgie
Ancien secrétaire de la société suisse de chirurgie du rachis